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Mes peurs (d'après La Mouette de Tchekhov - acte 2)

carré jaune Sur

Qu’on utilise les termes de « réécriture », de « variation », d’« adaptation »… tous les mots sont minés pour désigner la proposition que me fit [1], en décembre 2014, le metteur en scène Hubert Colas, de me réapproprier un acte de La Mouette de Tchekhov. Si j’avais accepté avec enthousiasme, plus je lisais et relisais cette pièce dont chacun des actes parle de la splendeur et des misères de la vie d’artiste – plus mon admiration grandissait et me donnait des sueurs froides en pensant aux comparaisons que les idolâtres tchékhoviens (dont j’étais) ne manqueraient pas d’établir, sans doute pas en notre faveur ! Avant tout et par-dessus tout, quelle était la nécessité, quelle urgence, de réécrire pareil chef-d’œuvre ? De plus, six auteurs en quête d’une mouette-personnage… Comment Hubert Colas allait-il cuisiner ce pot-pourri ? Coudre ensemble ces Disparates ?
Oui, il y avait de quoi revisiter Crainte et tremblement de l’illustre Kierkegaard mais enfin, être un écrivain, un artiste, n’est pas, et ne fut jamais, une situation des plus confortables, prise en étau qu’elle est entre une pauvreté assistée et l’aliénation d’un second métier, entre une censure mortifère et une autocensure morose, surtout en ces dernières années où le jeu entre Moi et Je, monde fictionnel et réel, a viré au jeu dangereux sinon même aux Jeux Interdits… D’où mon dévolu jeté justement sur l’acte II de La Mouette, un acte tout entier tendu vers l’analyse rigoureuse et lucide que fait Trigorine de sa vie d’écrivain – de la vie d’écrivain – du travail (obsessionnel) qui la sous-tend, du mode de vie (sobre pour le moins) qu’elle induit.
Ainsi, cette méditation sur “l’être-écrivain” trouva-t-elle sa nécessité en évoquant les menaces qui pèsent sur l’indépendance de la création (l’autonomie du créateur) dont l’une est la toujours plus déplorable situation économique des écrivains et l’autre – mortelle – nous explosa au visage lors des attentats parisiens de janvier 2015, dans la lignée sinistre de la Fatwa lancée contre le romancier Salman Rushdie en 1989. Des dix années de traque qui l'ont suivie, de leur impact sur sa vie et son écriture, il livre un récit éclairant dans Joseph Anton. Une autobiographie (Plon, 2012). Outre l’hommage aux écrivains Anton Tchekhov et Joseph Conrad contenu dans le titre, le texte est ponctué par l’évocation de la scène précédant l’attaque des écoliers par les volatiles déchaînés du film Les Oiseaux, de Hitchcock [2].

En rapprochant le “Je” de l’écrivain dans la pièce de Tchekhov, du “Moi” de moi-même – Annie Zadek – j’affirme que, non seulement « Je suis Trigorine » (le travailleur de l’écriture) mais que, en même temps, « Je suis Treplev » (sans cesse à la recherche de formes littéraires nouvelles) et, tout autant, que « Je suis Arkadina » (femme, mûre, amoureuse, arc-boutée contre les atteintes du temps qui passe).

De tout cela, je pouvais parler, ainsi que de mon angoisse face au visage indécent du monde, de ma volonté d’en rendre compte.

 

[1]  Ainsi qu'à Édith Azam, Liliane Giraudon, Nathalie Quintane ; avec Jacob Wren pour le prologue et Angelica Liddell pour l’épilogue. Le spectacle a été créé au Théâtre du Gymnase de Marseille en avril 2016. J'ai opté pour la publication de mon acte dans son intégralité ici même. Le site "Vues de l'esprit" fut créé à cette occasion par les bons soins de Juliette Gourlat. retour vers l'appel de la note

[2] « Au cours des années suivantes, il rêvera souvent à cette scène et comprendra que son histoire est une sorte de prologue : celle du moment où le premier corbeau se pose [...] Il faudra une douzaine d’années, et plus encore, pour que l’histoire se mette à remplir la totalité du ciel, comme l’archange Gabriel dressé sur l’horizon, comme deux avions s’écrasant contre des tours, comme l’invasion des oiseaux meurtriers dans le grand film d’Alfred Hitchcock. » (Prologue) retour vers l'appel de la note

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ine en ruine en Georgie

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Mise à jour le 15.10.2019 © 2017 Juliette Gourlat
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